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Ogoula Iquaqua Djemba : un esprit libre

Vient de paraître : Owanga ou l'Appel de l'Aurore, Mémoires d'un "indigné" gabonais, Les Editions du Faro, janvier 2019, ISBN 978-2-9564128-0-9


Benoît Ogoula Iquaqua DjembaCe patriote peu connu de « l’intelligentsia locale » et des nouvelles générations de Gabonais mérite d’être mieux connu même s’il n’a pas pu émerger et jouer le rôle qui aurait pu être le sien sur la scène politique du Gabon dans les années qui ont suivi « l’indépendance ».

Il convient cependant de signaler l’ouvrage Histoire du Gabon – Des origines à l’aube du XXIe siècle de l’historien gabonais Nicolas Metegue N'Nah (éditions L’Harmattan, 2006, page 125), dans lequel l’auteur fait état de la volonté de ce patriote de résister à la domination coloniale, comme celle de s’organiser politiquement pour prendre en charge le destin de son pays

Dans le même ordre d'idées et hors du Gabon, les professeurs Georges Balandier (« L’Utopie de Benoît Ogoula Iquaqua » dans Les temps modernes, 1952) et Florence Bernault (Démocraties ambiguës en Afrique centrale, éditions Kharthala, 2002, pages 185-187), « spécialistes de l’Afrique » ne se sont pas trompés sur son compte en proposant tour à tour une analyse critique de sa « vision du monde » et de ses « idées politiques ».

Quelques années auparavant, Georges Balandier dans un article intitulé « Contribution à une sociologie de la dépendance », publié en 1952 dans les Cahiers internationaux de sociologie (Vol. 12 pp 47-69. PUF), écrivait à propos de ce patriote : « nous avons pu, dans un travail récent élaboré à partir d’un document biographique, donner l’analyse d’une sorte de mythe exaltant la « science », la « fraternité spirituelle » et « l’harmonie des êtres supérieurs », par l’élaboration duquel un jeune Gabonais tenta d’échapper à une situation de dépendance qui lui était insupportable ».

Benoît Ogoula Iquaqua Djemba, fils de Joseph Iquaqua et d’Adèle Egoni, est né en 1902 à Port-Gentil dans la province de l’Ogooué-Maritime (GABON), dans une famille de dix enfants dont il était le deuxième. A l’âge de douze ans, il perd son père.

En 1915, il a 13 ans quand il entre à l’Ecole Urbaine d’Enseignement Général de Libreville. C’est sous la direction de M. Henri Caillarec son Maître, qu’il se fait apprécier par son ouverture d’esprit, sa volonté d’apprendre et la vivacité de son intelligence. Cinq ans plus tard, il est lauréat du concours de fin d’année et obtient son diplôme de fin d’études avec la rare mention « Très bien ».

Ce cycle terminé, il devait se rendre au Sénégal pour étudier la médecine. Mais la mort de son père l’amenant précocement à jouer le rôle de chef de famille, il décida de rester auprès de sa mère, de ses frères et sœurs dont il était devenu le principal soutien.

Il commence alors sa carrière professionnelle dans l’Administration coloniale le 16 septembre 1920, en tant « qu’écrivain interprète » au Tribunal de Port-Gentil jusqu’au 25 août 1925.

De 1925 à 1931, il est Agent de commerce. Puis brusquement, il se trouve devant un tournant crucial de sa vie, suite à la disparition du Chef Supérieur, Rébéla Ozwa, décédé le 31 décembre 1931, au village Nyolokwè. L’administration coloniale ayant alors invité les Orungu à se choisir un nouveau « Chef Supérieur », Benoît Ogoula Iquaqua Djemba est proposé et plébiscité par les notables de sa communauté pour occuper ce poste.

A peine élu, le nouveau « Chef Supérieur » des Orungu, pose devant le Résident français de la circonscription, les grandes lignes des mesures qu’il entend prendre pour faire face à la décadence que connaissent le pays et le peuple orungu. C’est l’Acte du 1er juillet 1932 qui propose une nouvelle ère dans les rapports à établir avec l’occupant.

Voilà donc qu’en plein « essor » de la colonisation, un autochtone, un fils du pays osa penser ouvertement au devenir de son peuple et proposer une ligne d’actions. Cela était évidemment contraire aux intérêts du colonisateur, et fut aussitôt considéré comme subversif.

La sanction fut immédiate. Il fut condamné à 10 ans de prison et déporté en Oubangui-Chari (actuelle République Centrafricaine). L’Oubangui-Chari était le lieu d’exil et d’enfermement des prisonniers politiques de l’A.E.F. (Afrique Equatoriale Française). Benoît Ogoula Iquaqua Djemba y rencontra une autre grande figure de la résistance contre le régime colonial érigé au Gabon, Léon Mba. De cette rencontre naîtront une amitié et un respect mutuel.

Cette déportation causa un grand émoi, et un désarroi dans la communauté orungu. Durant ces années passées loin des siens, sa mère vécut dans l’angoisse, l’inquiétude, avec l’effroyable idée de ne jamais revoir son fils vivant.

Ainsi, après le règne de Rébéla Ozwa, Ogoula Iquaqua Djemba fut le dernier « Chef Supérieur » choisi par les Orungu mais rejeté par l’Administration coloniale française.

Après son refus d’entériner le choix d’Ogoula Iquaqua Djemba comme leur « Chef Supérieur » par les Orungu, l’Administration coloniale demanda à ces derniers de procéder à l’élection d’un Chef de Canton à la place du Chef Supérieur. Ce qui changeait tout. Les Orungu, pas dupes, refusèrent cette offre et n’organisèrent pas de scrutin.

Durant cet exil, Ogoula Iquaqua Djemba a pris le temps de transcrire l’essentiel de sa pensée et de son action : « Dans mon milieu, les pleurs, la souffrance, l’injustice m’ont toujours inspiré le désir, parfois irrésistible, d’y remédier ».

D’où selon Georges Balandier, cette pensée empreinte d’humanisme qui exalte à la fois les valeurs d’unité, de solidarité, de justice, de concorde, et d’affection réciproque sans lesquelles un peuple n’est rien, l’Homme n’est rien.

Il fut libéré en 1936, grâce à la loi d’amnistie du Gouvernement Léon Blum. De retour au pays, il renoua avec le secteur du commerce en qualité de représentant de 1936 à 1944.

De 1944 à 1949, il assura les fonctions de chef de Canton (canton Orungu-Mer), démuni de tout moyen pour mener à bien les changements qui s’imposaient. Devant l’immobilisme de l’Administration coloniale pour satisfaire les besoins des populations dont il avait la charge, il n’hésita pas le 20 mai 1949 à présenter au Gouverneur Chef du Territoire du Gabon sa démission. Il reprit alors son métier d’Agent de commerce jusqu’en 1962.

Le 23 août 1958, depuis Port-Gentil, il adresse un télégramme au Général de Gaulle lors de son passage à Brazzaville pour le soutenir dans « la voie du changement, de l’autodétermination des peuples colonisés ».

Après le succès obtenu par le Général de Gaulle au référendum de 1958, il envoie le 6 octobre un autre télégramme pour le féliciter, tout en espérant « le raffermissement de la société française et l’arrêt de la guerre en Algérie ».

Toutefois, en décembre 1958, deux ans après la découverte du pétrole à Port-Gentil, il ne manqua pas d’attirer l’attention du Général de Gaulle, Président du Conseil, sur un sujet sensible : celui de la répartition équitable des fruits de l’exploitation de « l’or noir » sorti de la terre de ses ancêtres.

Il faut préciser qu’avant cette requête adressée au Général de Gaulle, un collectif de notables orungu dont il était membre, avait déjà formulé des doléances sur la question du partage de la manne pétrolière auprès de Monsieur le Haut Commissaire de la République, Gouverneur Général de l’A.E.F. Mais celles-ci étaient restées lettres mortes.

Au cours de l’année 1960, il écrit au Directeur de la S.P.A.F.E (Société des Pétroles d’Afrique Equatoriale devenue ELF-GABON puis TOTAL), pour rappeler le droit de propriété du Gabonais en général et de l’Orungu en particulier sur les terres du Cap Lopez, Pointe Apomandé, Ossèngatanga, Aloumbè, Gongouè (Etazanima), M’bilapé et Yombè…

Il dénonce également la profanation et la destruction des « Ambiros » (lieux saints) et places sacrées des Orungu occasionnées par l’exploration et les installations pétrolières, et demande la réparation du préjudice causé.

Au-delà de ces péripéties, Ogoula Iquaqua Djemba s’impose une autre mission. Celle d’explorer, de reconstituer le passé, la mémoire de son peuple, dont l’histoire est restée éparse.

Déjà en 1947, l’un de ses compatriotes, Jean-Rémy Ayouné, avec qui il collaborera par la suite comme Directeur de Cabinet au Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération de 1969 à 1971, le sollicite pour réaliser un travail qui devait servir la cause africaine : « montrer qu’avant l’arrivée des Blancs, les populations autochtones avaient elles aussi une civilisation ».

Ensuite, en 1950, il engage plusieurs échanges avec le sociologue André Hauser de l’Institut d’Etudes Centrafricaines de Brazzaville. Ainsi, en 1951, il lui transmet un mémoire sur l’histoire des Orungu.

Enfin, en 1954, il entretient une correspondance soutenue avec l’Abbé Raponda Walker, avec lequel il débat sur des points importants de l’histoire du peuple orungu.

Il a eu ainsi une intense activité intellectuelle dont témoignent les notes qu’il a laissées et qui portent essentiellement sur l’histoire, la sociologie, les croyances, etc., des Orungu.

Il fut Premier Conseiller Municipal à la Commune de Port-Gentil de 1957 à 1963. Attaché de Cabinet au Ministère de la Justice du 12 juillet 1962 au 11 avril 1967. Puis Secrétaire Général de la Mairie de Port-Gentil du 11 avril 1967 au 25 février 1969.

En 1971, admis à faire valoir ses droits à la retraite, il regagne Port-Gentil sa ville natale, où il se met à la disposition de sa famille, ses amis et ses compatriotes. Il y meurt le 3 mars 1980.

En guise de reconnaissance posthume de son engagement et de son action, Port-Gentil, sa ville natale qui ne l'a point oublié a décidé depuis le 29 novembre 2004, de bâptiser une de ses artères, et ce en présence du maire de l'époque, rue « Benoît OGOULA IQUAQUA ».

Auguste OGOULA MOWE