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A propos >> Portraits
Georges OYÉMBO (1880-1976) : le bienfaiteur d’ABÉLOGO et alentour
Il y a des gens qui, par leurs actes, changent le cours de bien des choses autour
d’eux et marquent ainsi durablement les esprits, tant de leur vivant
qu’après leur mort. C’est le cas, pour cette biographie, du Pasteur
Georges Oyémbo qui a fait beaucoup de bien au Lac Alombiè (à environ
100KM de Port-Gentil) et plus particulièrement à son principal village,
Abélogo, alias Irèva.
L’intellectuel respecté et le novateur avisé :
Il a été formé chez les Missionnaires protestants de
Ngomo, près de Lambaréné. Et, c’est pour y avoir d’abord été instituteur
que nous l’appelions plus couramment Onèndj’Oyémbo (le maître Oyémbo)
ou tout simplement Onèndji (le maître). C’est lors de son séjour là
bas qu’il fit la connaissance du Dr Albert Schweitzer dont il devint
l’ami et chez qui, par la suite, il allait se faire soigner sans aucune
contrepartie.
De retour à Abélogo, il conforta son statut d’intellectuel et s’imposa
comme un grand novateur.
Il devait son rôle d’intellectuel respecté et admiré à :
- sa grande culture dont témoignait sa bibliothèque, sa maîtrise
du français qui faisait de lui l’interprète entre les représentants
de l’administration coloniale, qui lui témoignaient la plus grande
estime, et les autres villageois ;
- la modestie et la simplicité dont il faisait preuve, quand d’autres
en auraient eu les chevilles enflées…
Novateur avisé il le fut :
- en matière d’habitat, en se faisant construire une grande maison
à étage, en bois dur, avec plusieurs chambres et un grand salon, assise
sur des piliers en briques fabriquées à partir d’un argile local,
et coiffée d’un toit en tôle ondulée. Aussi, était-ce chez lui, que
descendaient et logeaient les Blancs de passage ;
- en matière d’agriculture, en se lançant dans la production d’agrumes,
d’ananas, de café, etc., qu’il cultivait et récoltait en se faisant
aider par des jeunes qu’il rémunérait. Il n’allait jamais vendre ces
produits sans en donner une partie aux autres habitants du village.
Il allait même, quand c’était possible, jusqu’à « stocker » certains
fruits, pour les distribuer plus tard à certains jeunes qui, pour
telle ou telle raison, étaient absents au moment de la cueillette
;
- en matière d’élevage, en introduisant l’élevage des cabris qu’il
vendait. Parfois il en abattait un pour certaines grandes occasions,
en n’oubliant jamais de donner sa part à chacune des autres familles
;
- en matière d’environnement, en plantant entres autres du vétiver
pour lutter contre l’érosion des sols autour de sa maison, ou en agrémentant
ses abords de diverses fleurs ornementales, etc.
Le pentecôtiste résistant et cofondateur d’église :
Pour beaucoup, le souvenir du Pasteur Oyémbo reste essentiellement
lié à son œuvre pastorale. Qui, en effet, dans la région, n’a jamais
entendu parler de l’église pentecôtiste d’Abélogo qui a, ensuite,
essaimé à Port-Gentil ? Eh bien, c’est lui, entre autres qui en fut
le fondateur, à la suite de la scission qu’entraîna l’événement religieux
baptisé « Le Réveil », qui secoua, en 1936, l’Eglise protestante dont
il était membre.
Ayant, en effet, adhéré aux idées et pratiques pentecôtistes (Baptême
du Saint Esprit, Guérison par imposition des mains, Glossolalie, Don
de prophétie, Confession publique, etc.) introduites de Suisse par
Gaston Vernaud, il s’opposa résolument avec ce dernier et deux de
ses fils (Elie Ogandaga et Marc Pono) à leur condamnation par la direction
de L’Eglise protestante de France et prit ainsi la tête et la charge
de la jeune et nouvelle Eglise pentecôtiste d’Abélogo, où le Pasteur
Vernaud, désormais établi à Owéndo, près de Libreville, venait, par
la suite, faire des tournées de prière, en toute confraternité, égalité
et respect mutuel, évidemment.
Comme cela se faisait chez les Protestants, il alphabétisa ses fidèles,
en omyènè pour leur permettre de lire la Bible dans leur langue. C’est
ainsi que beaucoup qui ne pratiquaient aucunement le français, furent
en mesure d’écrire et de lire l’omyènè. Et dire qu’aujourd’hui, paraît-il,
beaucoup d’enfants, en ville surtout, ne savent même pas le parler
!!!!
Toujours est-il que cette nouvelle religion s’enracina et prospéra
si bien qu’elle contribua à la réputation d’intégrité morale des Abélogoyens,
appelés couramment « les gens, de l’Esprit » (mongu’inina). Ce label
de moralité et de spiritualité fut tel que dans les environs, beaucoup
se convertirent, soit par conviction ou plus simplement pour pouvoir
trouver âme sœur à Abélogo. Cela étant, il faut noter, malheureusement,
que la rigueur des principes pentecôtistes eut des effets négatifs
: la condamnation et le rejet de tout ce qui dans la culture traditionnelle,
ne cadrait pas avec l’enseignement religieux et considéré, de ce fait,
comme relevant du paganisme…
L’altruiste promoteur et bâtisseur de l’école d’Abélogo
:
Selon moi, la plus géniale des réalisations d’Onèndj’Oyémbo
fut la construction de l’école du village. Nous sommes en 1948-49.
La plupart des jeunes sont scolarisables ou auraient dû déjà être
en classe. Mais d’école, point ! Qu’à cela ne tienne ! Onèndj’Oyémbo,
par pur altruisme, puisque son jeune fils scolarisable, se trouve
déjà à l’Ecole à Port-Gentil, propose aux chefs de familles de charger
l’un de ses fils, Emmanuel Igana, qui avait fait ses études à Ngomo
(et qui se trouvait être mon beau frère !) de donner les premiers
rudiments scolaires à tous les jeunes (filles comme garçons !), quitte
à chaque famille de contribuer financièrement selon ses moyens, aux
besoins de ce « maître improvisé » !!! Il se chargea d’aller demander
à l’administration coloniale l’ouverture d’une Ecole l’année suivante.
Sur l’accord des familles, l’enseignement commença assez tôt dans
l’habitation de l’un de ses fils. Voila donc comment, moi, mes deux
frères et d’autres enfants de ma génération voire plus, nous apprîmes
à lire et écrire. N’ayant pas beaucoup de moyens (et c’est un euphémisme
!!!), nous nous fabriquions, ou on nous fabriquait, des « ardoises
» à partir
d’un bois très tendre (ngouga) sur lesquelles nous écrivions avec
des mines à plomb de notre fabrication, et que nous nettoyions avec
la feuille râpeuse d’un arbuste, ou que nous lavions tout simplement.
Comme promis, Onèndji alla solliciter l’ouverture d’une
Ecole à l’administration coloniale, qui accepta, à condition que les
villageois construisissent eux-mêmes le premier bâtiment des classes
et la case de l’instituteur à venir. Enthousiaste, tout le village
se mobilisa, tellement pour tous l’instruction des jeunes représentait
l’avenir, et l’année suivante, l’école officielle, avec ses bâtiments
au sol en terre battue, ses murs en bambou, et au toit en paille,
était prête pour accueillir les élèves du village et des environs
et leur instituteur officiel. La plupart de ceux qui, comme moi, avaient
débuté l’année « héroïque » précédente, passèrent immédiatement au
C.P.2. J’étais, quant à moi, si content d’apprendre, et avais tellement
envie de réussir, ne serait-ce que pour séduire ma mère…, que je brûlai
les étapes en passant mon Certificat d’études au CM1. Comme on voit,
il est évident que pour m’appesantir sur mon cas, sans cette décision
géniale d’Onèndj’Oyémbo, je ne serais jamais allé à l’Ecole (pas plus d’ailleurs que mon grand frère et mon cadet), et qu’évidemment, je
n’aurais pas fait les brillantes études qui furent les miennes, même
si, tout compte fait, matériellement, elles ne m’auront pas servi
à grand-chose !!!!! Mais ça, c’est un autre problème… Je devais, bien
sûr, comme d’autres qui ont « réussi », avoir du potentiel, mais ce
dernier serait certainement resté en puissance au lieu de passer à
l’acte, pour parler comme Aristote, si Onèndj’Oyémbo n’avait pas été
là !!!! Et dire que je n’ai pu que lui offrir un poste radio pour
lui permettre de suivre les émissions religieuses de Monrovia qu’il
estimait tant… Et dire aussi, sauf erreur de ma part, que cette école,
qui sans lui, n’aurait pas vu le jour de si tôt, ne porte même pas
son nom !!!
Le thérapeute à ses heures :
S’il s’occupa des âmes et des intellects, Onèndji ne
négligea pas pour autant la santé physique. Il avait ainsi une « pharmacie
» qui lui permettait d’intervenir le cas échéant, comme dans celui-ci,
particulièrement grave du début des années 1950. Un garçon est atteint
d’une grave jaunisse, accompagnée de fortes fièvres et de très violents
maux de tête. Son état empire tellement qu’il se met à délirer. La
médecine traditionnelle n’y fait rien. Et comme il s’agit d’un écolier
particulièrement brillant, chacun, comme devait le lui dire par la
suite son grand frère, y alla de son hypothèse ou de son commentaire.
Sa mère qui, selon ses dires, avait rêvé lors de sa conception d’avoir
volé un flacon chez des génies (imbwiri), craignait la vengeance de
ces derniers, en tout cas leur désir de récupérer l’un des leurs.
Selon d’autres, à cause de ses dons et de son extra lucidité légendaire,
il avait franchi certaines frontières… Bref, on s’attendait au pire.
C’est alors que le Pasteur Georges Oyémbo intervint, le guérit et
le sauva. Non pas en lui imposant les mains, mais en lui faisant boire
de l’huile de ricin !!!! Le résultat fut quasi immédiat : il
rendit toute la bile qu’il avait accumulée et revint à la vie. Eh
bien ce garçon qu’Onèndj’Oyémbo sauva ainsi d’une mort quasi certaine,
en tout cas à qui il épargna de très graves complications, c’était…
moi….
Voila donc, grosso modo, qui était Onèndj’Oyémbo, qui
par ses bienfaits, en matière éducative notamment, mérite bien la
reconnaissance et l’hommage de tous ceux qui sont passés par l’Ecole
d’Abélogo, qui lui doit finalement tout. Lui qui n’avait jamais cessé
de pousser les jeunes, filles ou garçons, originaires ou non du coin,
à s’instruire, à s’éduquer ; lui qui incarnait altruisme, solidarité
et générosité ; lui qui était toujours disponible et accessible pour
tous, vieux ou jeunes, croyants ou non ; lui qui, qu’il l’ait voulu
ou non, s’était donné en exemple, en homme fidèle à ses convictions,
mais sans obstination, ni désir de les imposer à tous prix ; lui pour
qui, grâce à son action, la question lancinante du sens de la vie
ne se posait certainement pas.
Gaston NWÈNDOGO
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